LETTRE OUVERTE A MESSIEURS
LES MINISTRES ET SECRETAIRE GENERAL
DE L’ENSEIGNEMENT
SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
“Celui qui ouvre une porte d’école ferme une prison.”
Victor Hugo.
Auteure : Madame Rahaingo-Razafimbelo Marcelline, docteur en Sciences de l’Information, Chercheure-Enseignante, Chef de Département Service aux Utilisateurs, Centre d’Information et de Documentation Scientifique et Technique (CIDST)
Plus connue sous le nom de Lily Razafimbelo (lrazafimbelo@yahoo.fr ).
Monsieur le Ministre, Monsieur le Secrétaire Général,
Je vous prie de m’excuser en venant perturber votre tranquillité, mais la situation commande que je vous adresse cette lettre.
1- CONTEXTE : LA PERTE DU « HASINA » DE L’ENSEIGNANT
– Comme la quasi totalité de mes collègues de l’Université d’Antananarivo, durant l’année universitaire 2011-2012, j’ai assuré mes cours, j’ai fait passer les examens, j’ai procédé aux corrections des feuilles de mes étudiants et déposé les notes. Jusqu’à ce jour, je n’ai pas été payée. Cela non faute d’avoir revendiqué, négocié, supplié et, malgré moi, fait la grève. Par souci de l’intérêt des étudiants et des parents, comme mes collègues, j’ai accepté de reprendre les cours et procédé déjà à des tests dans le cadre de contrôle continu pour le compte du premier semestre de l’année universitaire 2012-2013 ;
– Lors du Conseil national du SECES, au mois de juillet 2013, M. le SG du MeSupReS a dit, sans état d’âme, que la priorité du ministère était d’assurer le paiement les bourses des étudiants et le salaire du Personnel administratif et technique de l’Université. La cerise sur le gâteau, il a « prévenu » (c’est presque un euphémisme car çà ressemblait à s’y méprendre, à une menace à peine voilée) que « si les enseignants avaient des velléités de grève, ils trouveraient le ministère en face d’eux » (traduction libre) ;
– La non application des trois décrets que le Ministre des Finances a signés en 2009 et pour lesquels il a donné l’assurance que le Gouvernement allait procéder à leur application, notamment celui relatif à l’indemnité de recherche. La mauvaise foi et la parole donnée non tenue sont les signes d’un profond mépris du « Hasina » des enseignants ;
Il faut supplier, s’humilier pour avoir son salaire qui est un du et non une aumône.
– Les heures complémentaires de l’année universitaire 2011-2012 des enseignants de certaines universités dans les autres Faritany auraient été payées (j’utilise le conditionnel car il est impossible de vérifier cela faute de transparence dans la gouvernance).
2- S’INDIGNER SANS JAMAIS DÉSESPÉRER
J’ai toutes les raisons de me sentir désespérée. Et bien non. Dieu merci, je jouis encore de cette liberté de parole, mais surtout j’ai encore foi en cette mission d’enseigner. Et c’est le but de cette lettre que je vous adresse solennellement, car comme le disait Marc Aurèle
« Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé
et le courage de changer ce qui peut l’être
mais aussi la sagesse de distinguer l’un de l’autre. »
La vie a démontré qu’il y a un temps pour tout. Un temps pour se taire, un temps pour parler. Aujourd’hui, les circonstances, le seuil du tolérable a atteint ses limites. Se taire équivaudrait à être complice d’un Etat de non droit dont le mode de gouvernance se fonde sur l’injustice et la duperie.
Je vous écris cette lettre parce que je voudrais vous énoncer quelques convictions quant à ma VOCATION d’enseignante. Et pourquoi, je continue d’enseigner, d’instruire, d’éduquer, et ce malgré votre volonté de destruction massive de cette noble tâche, de cette Nation.
Comme pour beaucoup d’autres collègues, être enseignante, pour moi, n’a jamais été un choix de carrière, mais UN CHOIX DE VIE. Et l’enseignement n’a jamais été un métier, c’est d’abord et avant tout une sorte de SACERDOCE. Oui, ne souriez pas, un SACERDOCE. Certes, je ne prétends pas pouvoir tout enseigner à un homme, à une femme, tout au moins je peux seulement l’aider à le/la trouver en lui, en elle.
Ceci vous paraît, sans doute, ringard et grandiloquent, mais en tant qu’enseignante, je me considère comme un chemin à travers lequel passe la connaissance de génération en génération, parce qu’enseigner à des jeunes filles et des jeunes hommes c’est comme préparer des jeunes filles et jeunes hommes à devenir des femmes et des hommes meilleurs et conscients de leur place, de leur responsabilité dans cette société malagasy, à trouver ce qu’ils doivent apporter pour leur pays. C’est cette passion qui est mon humble contribution à la construction de ce pays.
Que certain dirigeant qui prétend nous gouverner n’ait pas de considération, encore moins de respect pour les ENSEIGNANTS en général et des enseignants de l’enseignement supérieur en particulier, je peux le comprendre. Il est ce qu’il est et comme disait un sage africain « Même on posant une couronne sur la tête d’un âne, il restera un âne ». Mais que vous Messieurs, professeurs d’université de votre état, vous manifestiez ce mépris et cette déconsidération à l’égard de ceux qui, par leur enseignement, enseignent à toute la famille, voire à toute une Nation, ce n’est pas tolérable. Lorsqu’une société décide, par la bêtise de ses dirigeants, que les enseignants ne sont qu’une quantité négligeable, c’est que cette société ne peut pas s’enseigner, ne peut pas s’améliorer.
Baruch Spinoza disait:
« Il vaut mieux enseigner les vertus que condamner les vices.».
C’est cela que j’ai essayé d’enseigner à tous les jeunes que j’ai eus le bonheur de rencontrer durant ces 23 années d’enseignement. Tout au long de cette vie, année par année, inlassablement, j’ai essayé d’enseigner pour inspirer à mes étudiants le désir d’apprendre, à être meilleurs, à être des femmes et des hommes responsables, des futurs leaders de leur pays. J’ai essayé d’accompagner chaque étudiant pour qu’il puisse affronter les problèmes de sa vie personnelle, sa vie de citoyen, le devenir de sa société.
J’aime, pour ne pas dire j’adore enseigner. Et j’ai rencontré beaucoup de femmes et d’hommes heureux qui avaient cette flamme de transmettre non seulement du savoir et du savoir-faire, mais aussi et surtout du savoir-être. Oui, j’ai connu des enseignants qui avaient le sens élevé d’une mission civique et éthique de leur « profession ». Oui j’ai côtoyé des femmes et des hommes heureux qui se sont donné corps et âme pour mener à bien leur mission d’enseignant(e), pour faire de l’université, de l’école, une plate-forme où il y a un minimum d’égalité et dans laquelle l’on peut se sentir citoyen. Oui, l’instruction, l’école, l’université constituent des lieux et des espaces d’apprentissage à la citoyenneté, à la responsabilité et au sens du bien commun. Les enseignants en sont le levier au même titre que les parents.
Je laisse à votre appréciation cette phrase de Kuang Chung :
« Si vous planifiez pour un an, plantez une graine.
Pour dix ans, plantez un arbre.
Pour cent ans, éduquez le peuple. »
Au-delà de la question d’argent, je viens vous demander d’être justes, d’être équitables et d’être des hommes de droit et de procéder à une juste rémunération d’un travail, d’une tâche accompli(e).
Car comme disait Guy Bedos, un humoriste mais un homme plein de sagesse
«Il faut payer les enseignants. Sinon, c’est les enfants qui payent.»
Forte de cela, je suis prête à renoncer à mes heures complémentaires pour renflouer les caisses de l’Etat, pour améliorer les conditions de l’université, si j’ai l’intime conviction que toute la classe politique, les dirigeants à tous les niveaux du pays renoncent à être outrageusement payés, sans avoir vraiment travaillé à la sueur de leur front.
Monsieur le Ministre, Monsieur le SG, avec tout le respect que je vous dois, je dis que le silence et la frustration de tout un corps ne transforme pas les mensonges en vérité. Les enseignants, même si parmi eux il existe des brebis galeuses, ne méritent pas ce traitement, ce mépris que vous leur infligez depuis trois années. Je voudrais emprunter à Lionel Jospin pour dire que
« On ne peut pas réformer l’Education Nationale sans les enseignants ».
je dirais,, on ne transforme pas l’université sans les enseignants. J’ose espérer que vous aurez la sagesse de considérer cette lettre ouverte, non comme une condamnation, mais comme l’interpellation d’une citoyenne éprise de justice et d’équité, comme un appel pour restaurer le prestige de l’enseignant, afin que la mission d’apprendre ne soit pas dissoute dans la profession.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, Monsieur le Secrétaire Général, l’expression de mes cordiales salutations.
Antananarivo 04 septembre 2013
RAHAINGO-RAZAFIMBELO Marcelline
Chercheure-Enseignante
Chef de Département Services aux Utilisateurs
Centre d’Information
et de Documentation Scientifique et Technique