Hada Rúbia Silva reçoit un prix

 

 

Hada est la présidente de la “Coopcarmo” une coopérative mixte de collecte sélective et de récupération des déchets de Mesquita, une municipalité de la banlieue de Rio de Janeiro.

Le 7 mars, la veille de la Journée Mondiale de la Femme, à Brasilia, elle a reçu le prix 2006 de la “Femme entrepreneure” de la région Sud-Est du Brésil dans la catégorie “Associations et Coopératives”. Cette distinction lui a été remise par les dirigeants du SEBRAE – Service brésilien d’appui aux micro et petites entreprises.

Un même prix a été remis à neuf autres femmes qui concouraient pour d’autres régions et dans d’autres catégories. Dans son témoignage, Hada explique que le CEDAC – Centre d’Action Communautaire (à Rio de Janeiro), un partenaire du MCI, a été la première institution à lui donner un appui pour la formation du groupe. En effet, en 1995 déjà, le groupe a bénéficié d’un cours de formation “sur mesure” de la part du CEDAC. Puis de nouveau en 1997 – 98, le groupe a participé avec onze autres de la “Baixada” (une partie de la banlieue de Rio), à un cours du CEDAC sur la création d’emploi et de revenu, le coopérativisme, la gestion, le développement de produits et l’économie solidaire. Le groupe est devenu coopérative en 2001.

Il bénéficie de l’appui de la coordination de l’Association de Groupes de Production – AGP à la création de laquelle le CEDAC a pris une part très active. Hada est parmi les responsables de l’AGP. Comme on peut le voir, ce prix est une reconnaissance de l’engagement de Hada et de son groupe. Il est d’abord l’expression très forte de la dignité de ces femmes. C’est aussi la récompense de la ténacité dont Hada et ses compagnes ont fait preuve. En arrière plan, ce prix est aussi le résultat d’un travail en réseau de plusieurs organisations de la société civile.

Des organisations brésiliennes, le CEDAC, l’AGP, mais aussi des ONG de l’extérieur : “Entraide et Fraternité” et “Autre Terre” de Belgique. Pour sa part, le MCI a apporté son appui au CEDAC depuis 1987 pour son activité dans le domaine de l’économie solidaire.

L’émouvant témoignage de Hada (que l’on trouvera plus loin) est un message d’espérance. Trop souvent de par le monde, au Sud comme au Nord, ceux qui sont exclus du système productif formel sont les victimes d’une stigmatisation malsaine. La tendance est à la culpabilisation des chômeurs et des exclus. Trop vite, on les rend personnellement responsables de leur état. Le prix accordé à ces femmes prend le contre-pied de ce courant d’opinion.

Mouvement pour la Coopération Internationale

Genève, mai 2006

 

 

Témoignage de Hada

 

 

defit

 

L´idée d´un travail alternatif surgit en 1992, il s´agissait d´améliorer un peu les conditions de vie de la population locale vivant des problèmes sociaux dû au chômage

L´objectif: engager immédiatement les femmes du quartier vivant des difficultés; ayant beaucoup d´enfants et étant peu scolarisées, elles ne trouvaient pas d´emploi et venaient tout le temps à l´église pour demander de l’aide. L´église catholique du quartier appuya ce travail parce qu´il répondait aux besoins de la population des quartiers de Jacutinga et Santo Elias. Le but étant que ces femmes puissent gagner leur vie près de leur maison et de leurs enfants.

Quand nous mettons la main dans les déchets, ils se transforment en vie
et deviennent notre pain quotidien.

Hada Rúbia

 

Pour mieux comprendre le témoignage de Hada :

Le SEBRAE –  Service brésilien d’appui aux micro et petites entreprises a été fondé en 1972. Il est financé par une contribution des entreprises qui se monte en moyenne à 0,6 % des salaires. Mesquita est une municipalité de 170’000 habitants, située dans la Baixada Fluminense, l’immense banlieue de Rio qui s’étend de part et d’autre de l’axe routier qui relie Rio à São Paulo. Le maire actuel de Mesquita est un membre du CEDAC. En 2005, le salaire minimum brésilien était de 300 Reais (R$) par mois, soit environ 130 US$ ou 170 CHF, ou encore 115 €. Depuis le 1er avril 2006, le salaire minimum est passé à 350 R$ par mois soit, environ 195 CHF.

La FEEMA – Fundação Estadual de Engenharia du Meio Ambiente, est un organisme de l’Etat de Rio de Janeiro chargé de questions environnementales.

 

La préoccupation principale était la vie

Le 11 mars 1993, nous avons commencé les activités de collecte sélective sous le nom de “Recyclage communautaire Notre-Dame du Carme”.

La première difficulté qui surgit fut que, en raison d´idées préconçues, la population n´acceptait pas ce type de travail. Pour vaincre ces idées préconçues, j´ai dû d´abord les combattre à l´intérieur de moi-même. J´avais honte d´aller dans la rue ramasser les déchets. A cette époque, nous n´avions aucune idée et aucune information concernant les déchets, ni concernant les bienfaits que ce travail entraînerait pour la population en général.

Nous avons dû aller dans les rues et sur les décharges.
Mon fils avait honte de moi et ses copains le traitaient de ”Fils de la poubelle”; mon mari et ma famille n’acceptaient pas non plus. Les gens se moquaient et nous appelaient “Les puantes”. Peu à peu, j’ai dominé cela…. et j´ai marché la tête haute quand j´ai considéré que ce travail était semblable à n´importe quel travail. C´est seulement quand mes sentiments et mon comportement en lien avec cette activité se sont transformés que j’ai pu dépasser les idées préconçues. Petit à petit ont surgi d´autres difficultés : comment transporter, trier, stocker et vendre ces déchets ?

A cette époque, nous transportions le matériel sur notre dos. C´était difficile de le stocker et de le vendre. Je me suis mise en route pour chercher tous les types d´informations possibles à ce sujet; et ensuite les déchets cessèrent d´être des déchets pour devenir de la matière première. Nous avons appris aussi quels sont les bienfaits du recyclage pour la santé, pour l´environnement et enfin pour acquérir du travail et un revenu. J´ai souffert aussi quand j´ai commencé à prendre contact avec les pouvoirs publics; c´est une autre barrière que j´ai dépassée. Il me fut très difficile d´arriver  jusqu’au Préfet de Nova Iguaçú.

A cette époque Mesquita était encore un district. Aucun gouvernant n´accorde de la crédibilité à une femme simple, du peuple et ayant de faibles revenus; mais je me suis fait entendre par lui. J’ai couru derrière lui jusqu’à ce qu’il me reçoive; j´ai passé des jours et des jours à attendre devant sa porte et devant la préfecture. Quand j’ai réussi à arriver jusqu’à  lui, je lui ai parlé de cette nouvelle possibilité qui surgissait pour restaurer la vie et la citoyenneté de ces femmes du quartier. Je lui ai également parlé des économies que la municipalité pourrait faire grâce à la collecte sélective de ce matériel. Nous voulions emprunter un camion pour faire ce travail… et nous avons réussi. Au fur et à mesure que le temps passait, le travail a acquis de la crédibilité et ont surgi des personnes et des institutions qui soutinrent l´équipe.

La première institution fut le CEDAC qui donna son appui pour la formation du groupe. Ensuite vint la première ONG belge : Entraide et Fraternité. Par la suite, ce fut Autre Terre, ONG belge aussi, qui vint améliorer les conditions de travail et la formation de l´équipe. La Recyclothèque procura des équipements. Le SEBRAE assura des formations et fournit des informations… et bien d´autres encore. Avec le temps le groupe s´est amplifié et les crises aussi. La recherche d´autonomie, alors que beaucoup de gens n´y croyaient pas, a entraîné des moments difficiles et bien des fois, j´ai eu envie de tout lâcher. Comme le terrain où se trouve la coopérative appartient à la paroisse, ce mouvement d´autonomisation a amené une grande polémique : l´église voulait avoir la haute main sur ce travail et j’ai dû lutter pour que le groupe puisse conquérir son espace car je croyais fermement que nous étions capables d’avancer par nos propres moyens.

Nous ne voulions pas une séparation d’avec l´église mais bien un partenariat et un appui pour cette autonomie… et nous avons réussi. Cela valait la peine de se battre autant car aujourd’hui ce travail est légalisé sous forme de coopérative. L´ONG Autre Terre a joué un rôle fondamental dans ce processus ; elle a cru en ce groupe de femmes simples. La majorité des femmes du groupe n’avaient même pas de documents civils et aujourd´hui elles sont entrepreneuses; à l´époque des idées préconçues, on les traitait de “puantes” et aujourd´hui leur travail est reconnu et la Coopcarmo est devenue une référence dans l’État de Rio de Janeiro, dans certains pays d´Europe et elle a réussi à travailler en partenariat avec la Préfecture locale de Mesquita. Pour atteindre ces conquêtes, le premier pas fut de croire en notre potentiel, stimuler et motiver la communauté, le quartier afin que les gens trient et donnent leurs déchets; ceci fut réalisé au moyen de campagnes, d’exposés et de manifestations.

Nous avons voulu et nous voulons faire du groupe une équipe de travail bien formée, nous voulons investir dans l´échange de connaissances et surtout nous voulons faire quelque chose qui nous donne du plaisir. Nous avons réussi à faire un hangar adapté au tri, nous avons notre propre camion, nous avons l’autorisation de la Feema et actuellement nous avons 1500 points de collecte de déchets à Mesquita, Nova Iguaçú, Belford Roxo et Nilópolis.

Nous récoltons de 23 à 25 tonnes de matériel par mois. La moyenne du revenu tourne autour d’un salaire minimum. Ce qui m’a fait du bien, cela a été d’avoir des contacts avec d´autres personnes. J’ai découvert en moi cette capacité de contact que je ne m´imaginais pas posséder. Cette activité de recyclage m’a amenée à croire davantage à la possibilité de changer la vie et les comportements. La personne Hada sort donc de l´anonymat à la recherche de son idéal de vie. Ce travail m’a mise en route; j’ai perçu davantage la crédibilité du marché et je maintiens les contacts avec la communauté du quartier, avec les gérants d’entreprises, les maires et beaucoup d´autres…

 

 Le succès n´est pas seulement une conquête; il se vit dans la durée; la pratique en est la clef.

 Pourquoi tant de coopératives meurent-elles? 

Quand vous commencez à faire quelque chose, l´argent est une conséquence;

ce qui vient d´abord est l´investissement et les difficultés.

Les erreurs peuvent être sources d´encouragement.

Le plus important est d´être capable d´équilibrer la sagesse populaire et le côté technique .

le respect mutuel crée le groupe…

 

COOPCARMO

 

Maria-Elisa Santos – 5 ans de travail à la Coopcarmo

J´aime faire ce travail parce qu’en plus des amis que j’avais, j´ai fait ici de nouvelles connaissances et de nouveaux amis. Tout a commencé quand je venais ici chercher de la soupe; une fille appelée Hada m´a invitée à venir travailler et je suis toujours ici. J´avoue que, certains jours, j’ai envie de rentrer à la maison; c´est difficile; mais cela me plaît, je me distrais, la journée passe rapidement et ce travail m´a déjà fait bénéficier de choses matérielles, j´ai acheté des choses que je n’avais pas et j´espère en acheter encore. Même avec un petit revenu, ma fille et moi, nous arrivons à vivre. Je n´avais jamais participé à des réunions ou à des voyages pour visiter d´autres travaux de recyclage. J’ai fait un premier voyage hors de l’État de Rio et ça a été comme une thérapie Hada est ”un gros poisson”, c´est une leader et sincèrement je ne lui arrive pas à la cheville; il faut voir la capacité qu’elle a comme présidente, son intelligence; pour moi, nous n´avons pas ces qualités qu´ elle possède. “Gros poisson”, c´est dans le sens de la locomotive d’un train; c´est la force qui donne l´impulsion. Malgré son titre de présidente, c´est une personne qui traite tout le monde avec humilité car elle ne se sent pas meilleure que les autres”

 

Eliete Campos Lara – 5 ans de travail à la Coopcarmo

Ce travail est bon pour moi. J’aime beaucoup Hada. C´est une personne qui se préoccupe du groupe; c´est quasi une mère; elle “en veut”. C´est mon avis. Hada a une intelligence que personne n’a; elle arrive toujours à des résultats; elle ne se croit pas meilleure que les autres… Lors des exposés, quand elle commence à parler… elle parle quand il le faut et sait s´arrêter quand il le faut. J´ai appris à reconnaître les produits recyclables, à déposer des chèques, à remplir des notes fiscales. Je suis allée dans des endroits où jamais je n´aurais imaginé aller; le travail m´aide à élever mes 7 enfants. Je dis partout que je travaille dans les déchets et je n´en ai pas honte; je n´ai jamais eu honte. J´ai réussi à acheter une télévision, un lecteur de cassettes et une machine à laver.

J’aimerais que ce travail continue toujours…         …. c´est difficile de trouver du travail...

 Témoignages de coopératrices